Rencontre : Naël, digne héritier de "sainte" Maria Randall
Le Maria Randall… L’œil souvent attiré par les couleurs vives de la devanture, où un vélo suspendu et une tapisserie perroquets débordant de l’antre vous accueillent, nous n’avions pourtant jamais osé franchir le pas. La raison ? La mention « gastro bar » sur le perron nous a fait craindre le cocktail-de-madame à 30 euros, servi par un pingouin engoncé dans son pantalon à pinces qui risquait bien d’ailleurs de nous refouler vu notre aversion pour les pinces en tous genres. Le genre d’endroits où les trentenaires viennent jouer les Carrie Bradshaw avec leurs copines, trempant leur lèvres Chanel dans un verre triangle lapé en 2 coups de langue-de-vipère.
Et pourtant, plus téméraires qu’à l’habitude en cette froide soirée d’hiver, nous rentrons. Déjà, parce que le décor britisho-tropical happait notre envie de faire du like sur Instagram. Au pire on fuira devant la carte des boissons, nous dîmes-t’on.
L’aventure…
Le Derrière a eu du flair (n’en déplaise au petit Prince, il n’est pas qu’avec le cœur que l’on voit bien. De temps en temps, le « reste » est invisible aux yeux car notre séant ne s’y est tout simplement pas encore posé…) : ladies and gentlemen adeptes de l’afterwork qui se finit à 23h dans une ambiance « comme chez soi », let we introduce you notre chouchou des bars à cocktails bordelais, qui réunit en son joli sein blanc une déco atypique, des nectars à faire taper un sprint à Derrick, et surtout un proprio qui deviendra votre meilleur pote au bout de 5 minutes.
Le Maria Randall
Partageant presque un mur avec le Jamon Jamon, qui lui est toujours rempli à craquer, on se demande bien pourquoi ce petit voisin semble quant à lui attirer un public plus confidentiel. Et en même temps, c’est bien ce que l’on aimera et qui lui donne ce goût de « reviens-y » : sentir que l’on peut rester le temps que l’on veut, et s’entendre parler quand on se glisse des mots doux (ou sales, c’est selon). Parce que les mots d’amour comme d’anamour, ça ne se crie pas, ça se susurre.
Le lieu…
Difficile de vous décrire la déco par une autre phrase que celle prononcée par Miss Derrière à chaque fois qu’elle y entre : « putain je veux la même chez moi !!!! ». Ça inquiète son mec autant que ça l’excite, parce qu’il se dit que faire l’amour sous une tête de cerf et des tableaux destroy, ça peut avoir son charme.
La tapisserie est « crusoësque ». Des perroquets transpercent un vert criard à grands coups de rouge, de blanc et de bleu roi. Un piano dégingandé, des cadres sans tableau, des estampes sans cadre, des chaises tantôt boudoir tantôt vieux souvenir de cantoche…c’est un joyeux bordel qui au final donne un air suranné et exotique aux lieux. Il nous faudra bien 10 minutes pour nous poser, le temps de tout prendre en photo.
Le tavernier
« Entrez donc, installez-vous où vous vous sentirez le mieux ! ».
C’est-à-dire ? On est deux, vous ne nous obligez pas à nous serrer sur une petite table pour laisser les autres plus grandes aux potentiels groupes qui viendront remplir votre tiroir-caisse ? Bonheur…on va t’aimer toi mon gars !
L’envie de visiter l’ensemble de l’établissement nous conduit au fond du bar, où des tables de bois mouchetées de peinture sont posées devant des banquettes joliment coussinées. C’est qu’il ose un savoureux mélange des genres et des tentures le tavernier !
Il a quel âge…26 ? 30 ans ? Plus ? Il sait que l’on est jamais venus, il ne nous « reconnait » pas. Alors il vient nous expliquer son bébé. Il pose un demi-derrière sur notre table, à l’aise pour nous y mettre d’emblée, et on l’aime déjà. Il nous balance qu’il est très en colère suite à une galère avec son compteur électrique, et qu’il ne peut pas nous proposer tout ce qui est prévu à la carte des tapas, que nous avons lorgnée à l’arrivée tant les prix affichés nous ont étonnés (de 3 à 5e le tapas, mais genre pas le petit bout de pain tartiné à la tomate en pot comme dans certains attrape-touristes hein…non non, l’aïoli, la plâtrasse de vrai jambon ou de fromages, le mini burger, etc). Mais si on a « une petite faim », pour 5 euros il nous propose du gigot de 7h à « grignoter ». Messieurs Derrière le demanderaient presque en mariage à ces mots….
Nous reviendrons plus tard tout goûter. C’était bon, le petit Jésus en culotte-dentelles qu’il donne en pitance le Naël. Et attention les yeux : voici les prix !
Car le tavernier s’appelle Naël, et ce bar c’est son antre.
Son bébé.
Son kiffe.
Il a une haute estime de l’accueil, et d’ailleurs nous le surprendrons, amusés, une autre fois en train de réprimander une cliente qui n’a pas osé lui dire que son cocktail ne lui plaisait pas et lui dire qu’il était hors de question qu’elle le paie. Maladroit mais touchant de le voir souffrir de ne pas avoir su satisfaire un client. Hyper touchant, comme quand il parle de sa «petite femme qui est parfaite » (sa chérie dont il parle toujours les yeux brillants, à la manière d’un ado qui n’a jamais été aussi amoureux de sa vie, ça nous donne envie de l’être aussi !). Ses tapas ne coutent quasi rien, et sont toutes maison : pour cela, il s’approvisionne aux Capus en fin de vente, et achète à moindre coût les invendus de qualité. C’est malin, c’est écolo sans être vegan, et ça lui permet « d’offrir du bon gout à mes clients sans les racketter ». Parce que pour lui, un commerçant à ce devoir d’offrir à la fois une bonne soirée et des vrais produits aux gens.
« Ceux qui servent de la merde à 10 euros la bouchée, ça me fait gerber ! ».
Aux esprits étriqués ou aux Bordelais qui aiment qu’on ne les « dérange pas » quand ils sortent : passez votre chemin. Pour le tavernier, il semble inconcevable de ne pas parler ni de faire la connaissance de ses invités. Cela peut mettre mal à l’aise (ou au contraire décoincer un peu) les timides. Et bousculer le derrière des esprits chagrins. Mais pas de panique : il existe des tonnes d’établissements impersonnels où vous serez surs d’être traités comme un numéro que l’on ne « dérangera » pas.
Que boire…
Sa carte des cocktails illustre son parcours : il a beaucoup voyagé, et son regard se perd soudain dans de lointaines contrées à la déclamation de ses ingrédients secrets. « Ça, je me le fais livrer d’Israël » ; « ce Yuzu il vient direct d’Asie ». « Cette épice je l’ai ramenée de voyage, ça m’emmerde car j’arrive plus à en trouver, je vais être à court ».
Il y a des classiques, mais on a du mal à les reconnaitre car la description est aussi étrange que les anecdotes qu’il nous racontera à chacune de nos venues. Genre…les sextoys trouvés dans la cave lorsqu’il a pris possession des lieux, un ancien club libertin… les techniques de drague des mecs qu’il observe chaque soir… ou encore cette cliente qui a tenté de le chopper de façon bien peu classe, à qui il a objecter que sa « petite femme » l’attendait au chaud chez lui…un livre ouvert ce Naël !… et ça aussi on aime.
La spécificité du Maria Randall : un cocktail à boire à deux dans un œuf d’autruche. On kiffe à la fois pour le folklore (Miss Derrière n’en pouvait plus de le prendre en photo sous toutes ses faces pour Instagram) mais aussi car le deal est de laisser faire le tavernier pour le contenu. 19e à deux : une broutille quand on voit les prix du Mojito au Mama Shelter…
La première fois qu’on a testé : mandarine, yuzu, gin, blanc d’œuf (il nous demande si madame n’est pas enceinte. Question étrange à poser à une femme qui commande de l’alcool, mais passons…) et coriandre partouzent allégrement sous les coups de boutoir de nos deux pailles, et nous amènent à cette sensation que l’on A-DO-RE avec les cocktails : l’inattendu. Vous savez, quand on est obligés d’y revenir pour savoir si on adore ou on déteste, tellement notre palais est surpris.
Et c’est parce nous aimons cette prise en otage gustative que notre choix se porte toujours sur « la carte blanche de Naël » quand nous venons. Ça match toujours, comme miss Derrière avec les bruns ténébreux sur Tinder.
Et les prix sont oufs, t’as qu’à voir :
Le nom
Lovés sur notre banquette, avec un bon son qui a fini par nous faire sentir comme à la maison (les soirées DJ sont plus animées mais déboitent tout autant), on aurait presque oublié de valider le nom du lieu. Car oui, elle serait tout autant comme chez elle ici, la Maria.
Maria Randall.
Si tu es amateur du Derrière et que tu t’y connais un peu en histoire de la bibine, tu sauras qui elle est, mais si tu ne le sais pas…bah c’est la boss ! Voici le topo qui est très bien décrit sur la carte :
Le 16 janvier 1920, le Volstead Act qui élargit l’interdiction de production, de distribution et de vente d’alcool de plus de 0,5° aux restaurants et aux bars fut appliqué aux Etats Unis.
Ce qui devait sonner le glas de l’alcool créa un formidable élan de créativité, donnant ainsi au cocktail ses lettres de noblesse.
Malheureusement cette date fut aussi celle de la disparition de Maria Randall. Cette grande dame, amatrice inconditionnelle de Gin, fut terrassée par le malheur lorsqu’elle apprit que son neveu Andrew Volstead était le promoteur de cette loi absurde.
Aujourd’hui, en l’honneur de son aïeul disparue, Lord Volstead nomma sa dernière création en son honneur. Heureusement pour nous la prohibition est finie, alors, bottoms up !
Alors, on y revient chez Naël ?
Oh que Oui ! Pour lui, car dès le premier soir on saura que ce n’était pas qu’un coup de langue comme ça. Quand vous franchissez le pas de la porte une seconde fois en sens inverse pour rentrer chez vous, vous avez du mal à partir, et le tavernier vous donne rdv pour une prochaine fois. Et la prochaine fois, il vous reconnaitra.
On y retourne aussi car les cocktails sont bons et pas hors de prix (compter 10 euros en moyenne le cocktails, soit moins chers que dans 90% des autres bars à cocktails), et on a épié le proprio du coin de l’oeil un soir qu’il choisissait l’un de ses alcools avec un presta : il ne veut que du quali. Du gin petit lait, du vrai rhum qui tabasse les papilles, du sky qui te fera oublier ton aversion causée par ce gredin de Jack Daniel’s.
Aussi car la bouffe est bonne, et qu’on ne s’en sort pas avec un demi bras en moins. Et qu’on peut manger autre chose ici que les traditionnelles assiettes de jambon cru qui dégueulent des bars à vins (à croire que les bars ne servent que ça).
Car le lieu est cosy mais gredin. On aime les gens qui nous entourent : pas de hipsters, pas des gens qui viennent là pour se montrer ou parce que l’endroit est le dernier à la mode, pas des gens bruyants mais suffisamment animés pour que –fait rare- on se parle entre tablées.
Donc fais passer l’adresse à tes potes, mais pas trop quand même : on serait ennuyés de ne plus retrouver notre petite table ces soirs où, ne sachant où aller pour passer un bon moment, on finit toujours par se vautrer sur la banquette du Maria qui est devenue notre valeur sure pour oublier les journées trop difficiles ou prolonger celles qui au contraire furent merveilleuses.
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